Le pouvoir des mots
Le 17 janvier 2020, l’association Kontnü organise son second colloque Kontinüum, avec le concours du Master Humanités de l’Université de Nanterre. Et avec pour thématique « le pouvoir des mots ». Un vaste sujet, qui peut tout aussi bien se conjuguer au pluriel, tant l’influence des mots s’exerce sur des registres variés. Des superpouvoirs convoqués par plusieurs experts qui nous permettront d’y voir un peu plus clair sur cet inconnu célèbre. Et apprendre à faire des mots nos alliés les plus intimes.
Parler du « pouvoir des mots » pourrait passer pour un poncif quand on est une association comme Kontnü. Pourtant, comme souvent, dès que l’on s’approche un peu plus près, on s’aperçoit que ce pouvoir n’est pas si simple à comprendre. « Un mot vous sauve, un mot vous tue » a dit un jour Amélie Nothomb. On est donc en droit de se demander s’il est bien raisonnable de laisser cette grenade dégoupillée aux mains de tous.
Le colloque Kontinüum se propose donc de faire une pause et de s’interroger collectivement sur ce que les mots recouvrent. En linguistique, il sont considérés comme la particule élémentaire permettant de nommer les choses. En fait, ils sont un peu au rédacteur ce que la note est au musicien. Charge à lui, par la suite, d’en faire une simple comptine ou une symphonie. « Un chef-d’œuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre » écrivait Jean Cocteau. Le mot est une matière première inépuisable et extrêmement malléable, capable du pire comme du meilleur. Tout n’est finalement qu’histoire de choix, de syntaxe et de style. Et un peu de talent. C’est là que ça se complique sévèrement.
Les mots et le territoire
Une des premières caractéristiques des mots est leur capacité à traduire la pensée, à formaliser des concepts , même si cette capacité est parfois sujette à caution. En seconde lecture, on s’aperçoit que le mot peut aussi se révéler comme le reflet de l’identité. Si « choisir, c’est renoncer », préférer un mot à un autre est donc un premier jalon pour marquer un territoire, prendre parti, forger une personnalité. Le mot doit être à la fois capable de porter la singularité de l’émetteur mais aussi être compris par son public. C’est un acte fondamental de la communication qui se révèle dans les techniques d’UX writing, qui cherchent à nous faciliter la vie en ligne et dont nous parlera Nathalie Rilcy. Le mot et le champ sémantique qu’il détermine sont aussi des éléments fondamentaux de légitimité de l’émetteur, aujourd’hui largement remis en question par une audience de plus en plus informée et critique. Une quête de recevabilité et de sens au cœur des préoccupations de communication publique et qui sous-tendent l’ensemble de la démarche éditoriale mise en place par la métropole de Rennes. Une stratégie centrée sur l’écoute et la compréhension des utilisateurs, dont viendra nous parler Laurent Riera, son directeur de la communication.
Les mots en partage
Cette légitimité est à manier avec précaution, car les mots sont aussi trop souvent une manière d’installer l’autorité, voire la domination des « sachants » sur la foule. Un exercice du pouvoir excluant, alors même que les mots devraient être un capital commun au service de l’éducation et de l’inclusion. Les mots ne doivent donc pas rester du ressort des seuls « professionnels » journalistes, écrivains, rédacteurs ou politiques habitués à leur maniement. C’est une raison d’être de la conférence Kontinüum et une conviction forte de l’association Kontnü. C’est aussi celle d’Elise Nebout, co-fondatrice de l’école d’écriture bien-nommée « Les Mots », qui cherche à faire se rencontrer l’univers de l’entreprise avec celui de la littérature et de la narration. Elle viendra nous expliquer les vertus des ateliers qu’elle anime à destination de ceux qui n’ont pas toujours le temps de se consacrer aux plaisirs de l’écriture.
Le choc des mots
Si les mots ont un sens, ils ont aussi une intention, une responsabilité voire une éthique qui découlent d’abord et avant tout des choix qui en sont faits. C’est la question centrale qui sera abordée tout au long de la journée Kontinüum et que Michel Olivier, professeur de philosophie à l’Université de Nanterre, propose de rappeler en ouverture du colloque. Cette responsabilité des mots sera aussi questionnée par Florence Touzé, titulaire de la Chaire Marque responsable à l’université Audencia et auteur de l’ouvrage « Marketing des illusions perdues ». Les mots sont souvent le marqueur d’une époque, d’un contexte et soumis à des champs sémantiques qui évoluent en permanence. S’ils étaient hier les véhicules d’une société de la profusion, ils peuvent devenir aujourd’hui les meilleurs ambassadeurs d’un retour à une consommation raisonnée. Les mots influencent. Les mots manipulent. Mais ils peuvent aussi donner, avec les mêmes techniques marketing, un nouveau cap dans le cadre d’une transformation de la société et des comportements, que l’association Kontnü appelle de ses vœux.
Les mots justes
Les mots sont ainsi les particules élémentaires de la pensée, du raisonnement et de la rhétorique. Leur pouvoir n’est donc pas le résultat d’une action isolée, mais celui d’une démarche globale, en lien étroit avec les autres éléments de contenus qui les renforcent, comme le rythme, la structure, le ton, l’image, le son ou la donnée numérique. A la fois contenu de référence, garant d’une mesure de l’audience et du profilage, cette donnée nourrit aujourd’hui beaucoup de phantasmes et de suspicions. Pour Virginie Debuisson, spécialisée dans l’analyse sémantique, cette donnée doit être avant tout un allié objectif, caution d’un contenu fiable, adapté et plus précis. Un gage d’efficacité potentiellement porteuse, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, de sobriété numérique et éditoriale.
Des mots justes pour un message efficace
Cette volonté de sobriété numérique est d’ailleurs au cœur de la démarche de l’association Kontnü. Un engagement qui recherche la durabilité, la pertinence plutôt que la seule performance. Chercher à produire mieux et raisonnablement pour éviter le trop plein de contenus qui contribue à une surcharge cognitive et, au final, à leur inanité. Une simplification et une clarification aux antipodes des contenus « Waouh », souvent sollicités mais au final rarement productifs. C’est ce que nous démontrera Muriel Gani, consultante en stratégies de contenus et membre de l’association Kontnü. Une démarche qui tient aussi de la méthode, dès lors que l’on cherche à utiliser un langage commun, à la manière d’Anne Vervier, linguiste et auteure de nombreux ouvrages sur les vertus du langage clair, ou que l’on aborde la production de contenus sous son prisme technique et nécessairement efficace, dont nous parlera Marie Girard-Choppinet, product manager chez IBM et professeure en stratégie de contenus à l’Université Denis Diderot de Paris.
La technicisation des mots
Cette recherche d’efficacité est évidemment le cœur de la révolution technologique. Il aurait donc été étonnant qu’elle ne s’invite pas dans l’univers des mots. Avec les techniques de référencement contraintes par les moteurs de recherche, tout d’abord, mais aussi celles plus émergentes liées à la reconnaissance vocale, aux chatbots, à la traduction automatique ou au traitement de la parole, qui viennent désormais concurrencer ce qui forge un point fort de notre humanité : le langage. Algorithmes et intelligence artificielle cherchent à copier la langue. Carole Lailler, docteur en sciences du langage et consultante en IA, nous expliquera également que, loin des visions dystopiques, ils sont aussi un moyen de faire progresser nos connaissances sur ses usages.
Un pouvoir à canaliser
Éloquence, personnalité, clarté, responsabilité, durabilité. Le bilan est clair. Les mots ont bien un pouvoir multiple auquel on peut facilement rajouter leur incroyable capacité d’adaptation. Manier les mots, c’est donc potentiellement être en capacité de manier l’ensemble de ces pouvoirs. Ce n’est pas anodin. Cela implique de prendre conscience des incidences que peut avoir l’utilisation de ces mots. Et de faire preuve d’une forme de responsabilité collective, nécessaire dès lors que l’on exerce un pouvoir, quel qu’il soit. Dans un contexte d’infobésité, de remise en question de la légitimité de la parole et d’une saturation des réseaux d’information, les membres de l’association Kontnü se sont donc fixés pour ambition la mise en place d’un texte commun, partagé, opérationnel susceptible de donner un cadre pour tous ceux qui sont un jour amenés à produire du contenu. Un code déontologique issu de nos expériences collectives et de ce que nous pensons être un usage éthique et responsable des contenus. L’issue de la conférence sera donc l’occasion, pour les membres de l’association Kontnü mené par Elie Sloïm de présenter ce travail collectif, qui ne demande qu’à être enrichi de l’expérience de tous, dans le but d’en faire un document de référence et d’inspiration. Vous serez donc les bienvenus pour l’amender.
Le pouvoir des mots laisse donc augurer une journée riche en enseignements et en partage. N’hésitez pas à nous contacter si ce sujet vous intéresse et si vous souhaitez apporter votre pierre à l’édifice. Et si débattre de leur responsabilité, de leur influence et de leur intelligibilité vous semble important mais un peu technique et froid pour une matière première aussi intime, sachez que l’association Kontnü ne perd jamais de vue les indicibles plaisirs égoïstes que l’on a à débusquer et façonner les mots, transcrire les idées et explorer de nouveaux contenus. Comme le disait Jean Giono, à qui nous laisserons donc le mot de la fin : « C’est le plaisir véritablement sans aucun mélange d’écrire. D’écrire, de me livrer à ce travail de marqueterie qu’est le style, remplacer tel mot par une virgule ou remplacer cette virgule par un adverbe, allonger la phrase ou la raccourcir, sentir le rythme se faire ou le chercher […]. Alors ça, c’est mon plaisir personnel. »
Pas mieux…
Pascal Beria
Crédit photo : Diego PH
Kontinüum est un cycle de conférence annuel organisé par l’association Kontnü en collaboration avec le Master Humanités de l’Université Paris Nanterre. Cet événement fait intervenir différents participants, professionnels de la production de contenus, universitaires, journalistes dans le but de fusionner les disciplines et de partager les réflexions sur les contenus et leur évolution. Après une première saison en 2019 dédiée au « sens », Kontinüum II aura pour thématique le « pouvoir des mots ». L’événement se tiendra le 17 janvier 2020 au pôle universitaire Léonard de Vinci de Naterre.